samedi 17 décembre 2011

Dommage qu’elle soit une putain de John Ford mise en scène Declan Donnellan au Théâtre des Gémeaux à Sceaux

Hard.

Personne ne se permettrait de contester l’autorité de Declan Donnellan et Lulu moins encore.
Cette saison c’est avec la pièce de John Ford que nous le retrouvons « Dommage qu’elle soit une putain » chef d’œuvre du théâtre élisabéthain, d’une audace encore inégalée.

Le privilège de l’âge m’a permis d’avoir entendu parlé de la production de Visconti avec Alain Delon et Romy Schneider en 1963.
C’est avec la version de Jérôme Savary que j’ai vu la pièce pour la première fois à Chaillot. C’était une soirée en tout point inoubliable, éblouissante, singulière.

Declan Donnellan a choisi le parti pris de la contemporanéité.
L’inceste dévorant auquel succombe nos maudits Roméo et Juliette voués à la damnation se déroule dans un climat ou seules la brutalité, la violence et la bestialité dominent l’action.
Des détails d’une trivialité souvent insoutenable émaillent le spectacle. Le décor entièrement rouge écarlate est délibérément vulgaire tout comme Annabella (Lydia Wilson) s’apparente davantage à une Lolita qu’à une jeune aristocrate. La Nourrice pourrait être entremetteuse, les hommes tous machos et la maîtresse trahie une furie déchaînée.

C’est sans appel, sans équivoque oppressant, anéantissant.

Voilà pourquoi je ne peux m’empêcher d’évoquer Savary qui avait su distiller tendresse, ambigüité et insondable mystère dans sa mise en scène troublante. De l’eau se déversait doucement sur le plateau tout au long de la représentation, les acteurs dans un décor très simple étaient en costume simples aussi mais d’époque, et la pièce baignait de bout en bout dans une atmosphère délétère qui faisait ressortir avec tellement plus de subtilités toute la splendeur du texte et l’audace inouïe du sujet.

Comparé à son précédent Macbeth et à son Boris Goudounov, c’est une réelle déception en dépit d’un travail qui demeure intéressant.

Hedda Gabler d’Henrik Ibsen mise en scène Ivo Van Hove Toneelgroep Amsterdam Maison des Arts de Créteil


Noir c’est noir.

Ibsen n’a pas la réputation d’un comique cela on le sait. Mais dans la version que nous donne le grand metteur en scène Ivo Van Hove, dont la réputation est largement justifiée, rarement l’implacable destinée de ses personnages n’aura été rendue avec autant de force tragique.

Hedda femme adulée par de très nombreux soupirants, a choisi d’épouser, par souci de confort matériel, le médiocre Tesman avec lequel l’ennui s’est installé dès leur lune de miel. Elle lui a sacrifié une passion partagée avec un jeune auteur marginal et talentueux qui de désespoir partira au loin. Hedda est aussi prisonnière d’un troisième homme amoureux éconduit qui se vengera d’elle en le tenant sous sa dépendance pour de basses questions financières.

La femme insatisfaite et velléitaire dominant au gré de ses caprices les hommes qui l’entourent sera elle aussi brisée devant l’ampleur des ravages qu’elle aura provoqués, culminant avec la mort du poète et la destruction physique de son œuvre. Elle se suicidera, ultime inconvenance dans cette société puritaine afin d’échapper à la soumission imposée par le juge- créancier et amant méprisé.

La transposition très contemporaine de la pièce, dans un décor de loft tendance, des acteurs d’une justesse confondante, d’une présence immédiatement palpable et convaincante, donnent un relief et une rare acuité aux personnages d’Ibsen.
La mise en scène du néerlandais Ivo Van Hove est limpide sans aucun effet superflu.
Travail remarquable, c’est du très grand théâtre. On en oubli le son guttural du hollandais.

Guettez son retour la saison prochaine. Il est régulièrement invité en France   

Bullet Park (Festival d’automne) d’après John Cheever par le collectif « Les Possédés » Théâtre de la Bastille


Une troupe à suivre.

Durant les années 60 dans le cadre aseptisé et anesthésié d’une résidence pour classe moyenne, l’Amérique nous découvre la face cachée de la société de consommation et son vide abyssal.

Ne craignez rien, c’est souvent drôle voire hilarant et toujours formidablement bien joué par l’excellente troupe des Possédés jeunes et beaux, tous issus du cours Florent, bourrés de talent et dirigés par Rodolphe Dana.
Le décor dans lequel ils évoluent est tout aussi réussi, réunissant sur un gazon synthétique tous les derniers modèles d’électroménager, symboles de  dépendance,  comme la « télé » ou le « frigo ».

Les personnages délibérément stéréotypés révèleront tous leurs névroses, leur haine, leur manque d’amour, leur impuissance, leur incommunicabilité. Et cela donne lieu à quelques scènes absolument désopilantes de délire, de boulimie, d’hyperactivité sportive, de leçon d’italien ou de visite de pavillon à vendre, toutes parfaitement réussies.

Seul bémol de la soirée : les monologues ou tirades des personnages.
C’est là que ressort la réelle faiblesse du texte.
Fini les dialogues percutants, incisifs, ciselés.
C’est verbeux, bavard, primaire, creux.

On ne peut s’empêcher d’établir une comparaison cruelle : cela raisonne de la même façon que la société… tant décriée.

Regrettable.


Le Baladin du Monde Occidental de John M. Synge mise en scène Elizabeth Chailloux Théâtre des Quartiers d’Ivry


La puissance de la poésie pure.

Je n’avais jamais vu ni même lu «  Le Baladin du Monde Occidental ». C’est une révélation.

John M. Synge est « le génie irlandais » salué par Yeats en 1907 le lendemain de la création qui fit scandale et provoqua une émeute à Dublin.

Certes, le thème de la pièce ne saurait être plus transgressif.
 Elle nous compte l’ascension fulgurante d’un pauvre hère qui parvient par la seule force de son récit, le meurtre de son père, à séduire non seulement l’indomptable et superbe fille du cabaretier local, mais à devenir aussi le héros adulé de tous les habitants de ce trou perdu.
L’arrivée intempestive du père, seulement blessé, provoquera sa chute brutale et la vindicte de la foule déchaînée. Il ne devra son salut qu’à sa fuite, accompagné de son père miraculeusement réchappé de ses nouvelles tentatives pour l’achever.

Dans cette société ultra- catholique corsetée par son clergé, cet éloge du parricide prend ici une force toute particulière. Ce qui pourrait paraître le tableau d’une humanité bestiale, sordide, brutale et abrutie, révèle tout au contraire l’immense talent de l’auteur. Ses personnages venus du fond des âges, forts tempéraments et gosiers assoiffés, mais pétris d’humanité, cette Irlande  à la terre ingrate et si dure à vivre, ce peuple d’irréductibles sont évoqués avec une langue fabuleusement inventive, totalement poétique et d’une éblouissante beauté, admirablement rendue par l’adaptation de Françoise Morvan. Et c’est là que réside tout le génie du poète.

En dépit d’une mise en scène trop réaliste d’Elizabeth Chailloux, de comédiens qui manquent de souffle et à la diction trop souvent approximative à l’exception notable de Cassandre Vittu de Kerraoul, Pegeen d’anthologie éblouissante de beauté et d’autorité, un siècle plus tard on reste encore stupéfait, ébahi par une telle audace. La magie du verbe subjugue.
Pendant les deux heures trente du spectacle les adolescents du collège voisin n’ont pas fait grincer une fois leur fauteuil.
La démonstration est imparable.

Tout est normal on cœur scintille de et avec Jacques Gamblin Théâtre du Rond Point


Et me revoilà à contre courant du cœur de louanges.

Une salle Renaud-Barrault bondée. Un public essentiellement composé de bourgeois, de scolaires de la périphérie et de clubs de théâtre du 4eme voir du 5eme âge.

Que sont-ils venus chercher dans ce spectacle ?

Un Gamblin magicien, contorsionniste, poète, absurde, lyrique.

A attendre les rires fuser et les applaudissements crépiter pour saluer l’artiste, à l’évidence la salle paraît comblée dans ses attentes.

Personnellement je me suis laissée doucement bercer par la torpeur, souriant de loin en loin à quelques boutades joliment tournées ou à quelques réflexions gentiment absurdes , sensible à sa célébration de la femme.

Gamblin n’est pas un auteur je m’en doutais et quelques histoires d’ostéopathe ou de « trou du cul » assez réusseis ne suffisent pas à sauver l’ensemble.

Il n’en demeure pas moins un singulier comédien dont la subtilité et le charme infini parviennent à masquer avec un incontestable talent la faiblesse des textes.
Cela opère sur le public présent dans la salle.

Une Autre Vie de Brian Friel avec Marie Vincent et Roland Marchisio mise en scène Benoît Lavigne au Théâtre La Bruyère (dernières)

Tchékhovien

Un café sinistre aux murs écaillés, une femme attablée, penchée sur des papiers qu’elle examine fiévreusement.
Lui entre, l’étui de son violon sous le bras.
Ils se sont déjà retrouvés là, la veille.
La conversation reprend. Les confidences laissent vite apparaître la solitude dont chacun souffre, leur difficulté à y faire face.

Cette rencontre serait-elle leur chance ?
Une attirance mutuelle semble le permettre.

Et puis quand la vodka succède au thé et à la soupe aux choux, les masques tombent, les mensonges s’avouent, tous deux ont des vies sans issue, prisonnières de leur destinée.

Pour elle un amour impossible la lie au Domaine dont elle va bientôt être dépossédée.

Lui, abandonné avec ses enfants par une épouse volage se voit contraint de jouer dans la rue afin de payer ses déplacements à Moscou pour voir son fils injustement emprisonné.

L’irlandais Brian Friel est un auteur octogénaire couvert de distinctions à juste titre.
On le surnomme le Tchékhov de la langue anglaise. Sa proximité avec le grand écrivain russe est évidente. Avec un peu mois de sensiblerie et de sentimentalité on y serait tout à fait.

Néanmoins Marie Vincent et Roland Marchisio, deux interprètes dont le talent n’est plus à démontrer, donnent admirablement chair à leurs personnages en perdition.

Une très jolie soirée qui réconforte dans la médiocrité de cette saison.

Bistro de Sylvie Audcoeur et Marie Piton mise en scène Anne Bourgeois au Théâtre de l’Œuvre

Charmant.

La deuxième pièce à l’affiche cette saison à l’Œuvre vous réservera une soirée de délassement théâtral des plus plaisantes.

Ce spectacle musical est si bien construit et surtout si parfaitement chanté et joué par ses quatre interprètes (Sylvie Audcoeur, Marie Piton, Alexis Desseaux et Michelle Simonnet) accompagnés au piano par le compositeur (Patrice Peyriéras) que l’on se laisse porter avec délice par cette charmante histoire : la fermeture d’un bistrot.

Cette soirée réunit la petite fille du fondateur (un émigré russe) sorte de Mère Courage, fausse célibataire endurcie, et jeune maman. Aussi présent, le client fidèle, ami dévoué et amoureux transi, incapable de déclarer sa flamme, la ravissante amie d’enfance séductrice impénitente et infatigable collectionneuse de liaisons sans lendemain et enfin, l’ancienne serveuse revenue exprès de sa province, pour être avec ses petites, et par qui le scandale arrivera.

La nostalgie des personnages, tout comme leurs moments d’affrontement ou de confidence, les maladresses de l’amoureux, les révélations de la vieille dame assagie sont très joliment tournés.
Les moments musicaux s’intercalent aussi parfaitement dans l’action et le rythme toujours juste, efficace, intelligent.

Alors pourquoi bouder son plaisir ?

Laissez-vous entraîner aussi par cette bluette un peu sentimental et n’hésitez pas à franchir le seuil de ce bistrot fort attachant.