mardi 14 juin 2011

MER de Tino Casparello Théatre de l'Atelier

Traduit du dialecte sicilien, l'auteur, Tino Casparello, que nous découvrons, nous livre un texte non pas sur l'incommunicabilité, mais sur la difficulté de communiquer par simple manque de moyen: les mots, pour y parvenir.

Malgré un décor (de Jean Hass) qui évoque, sous un ciel étoilé dans une gaze d'azur profond, un endroit d'un romantisme achevé, et malgré ce ponton ( unique lieu de l'action, commandé par une porte à loquet qui n'en finit pas de s'ouvrir et de se refermer sur "Elle) qui a toutes les apparences d'un refuge protecteur,  c'est  bien dans un univers fermé et pauvre, au coeur de vies faites toute d'âpreté et de rudesse que nous pénétrons avec ce beau texte court et intense.

En dépit de cette regrettable inadéquation,on s'émeut à mesure que cette épouse envahissante au début, se révèle au cours de l'action être une femme admirable, qui déploiera toute sa détermination à essayer de faire parler son époux "absent", à vaincre son silence de taiseux, avide de solitude , à réveiller en lui sa profonde et émouvante tendresse tue, étouffée, muette.

Obstinément, malgré ses rebuffades et ses esquives,elle revient encore et toujours (par la porte..) usant de prétextes insignifiants, évoquant doucement , progresivement, pitoyable et pudique, ses peurs et son désarroi face à "sa" solitude , son abandon.

Ses tentatives répétées et maladroites leur permettront, après tous ces échanges, qui n'ont de creux que l'apparence, de se retrouver et de se dire enfin, à leur façon,toute la tendresse qui les unit l'un à l'autre

Quel superbe hommage à la femme ,à "cette" femme que nous livre Caspanello, si démunie dans son combat, mais si profondément déterminée, qu'elle parviendra, on oserait presque dire par son "entêtement" à obtenir la
plus belle des victoires que l'on puisse remporter: celle du coeur.

Pour l'incarner, Lea Drucker, nous éblouit de bout en bout par sa présence, sa subtilité infinie, sa profondeur, et sa rare sensibilité. Elle parvient à transmettre à son personnage des moments d'une telle intensité dramatique avec  une étonnante économie de moyens que l'émotion nous étreint.
C'est bien à cela que se reconnait le grand talent, Lea Drucker nous en donne encore cette fois l'illustration parfaite, je salue en elle une comédienne exceptionnelle, une interprète rare.

lundi 13 juin 2011

Semianyki au Rond-Point jusqu'au 2 juillet 2011

Inutile de vous présenter les "Semianyki" après le battage médiatique qui a entouré leur retour au Rond-Point cette saison.

Ils y reprennent le spectacle que j'avais déjà vu en 2007 avec un bonheur intense mais plus confidentiel alors.

Si la surprise de la découverte a disparu, les retrouvailles avec la famille (Semianyki) foutraque demeurent un moment de gaieté salutaire.

Comment résister aux coquetteries, oeuillades et tortillements "ensorcelants" de cette mère au ventre énorme de veille d'accouchement, affublée de ses grosses galoches, de ses chaussettes à larges rayures horizontales et de son chandail au crochet.

Comment ne pas s'esclaffer devant cette brochette d'affreux jojos de la pire espèce, lâches, hypocrites, sadiques dont l'imagination débordante n'est jamais prise de court pour s'exercer sur leur père, victime de prédilection, ainsi poussé à l'abandon du domicile familial.

Comment ne pas avoir suivi avec fascination les prouesses d'inventivité et d'acrobatie du dit père pour parvenir à se verser et à boire un dé à coudre de vodka, alors qu'il a les bras entravés par un bâton de ski que ces charmants bambins lui ont subrepticement glissé dans les manches de sa veste.

Je citerai encore quelques tableaux d'anthologie comme le coup de téléphone, la promenade en poussette, la lecture du conte de fée et celui du ronflement qui sont tous désopilants.

Sous leurs apparences délirantes et iconoclastes voilà une soirée bien décoiffante et bien réconfortante à la fois où les enfants sont dénués d'angélisme et pourtant naïfs et affectueux, leur mère aimante et complice, leur père persécuté mais toujours sensible aux charmes de sa moitié et profondément attaché à sa famille.

mercredi 1 juin 2011

Les Créanciers d'August Strinberg Théatre de la Colline

Cela a commencé par un bref instant de beauté théâtrale absolue, à vous couper le souffle : une scénographie magistrale:
. Descendant des cintres, quatre traits lumineux rouge incandescent délimitent le sol  de l'action, un voile à l'arrière et du fin fond du plateau, un praticable noir surgissant des ténèbres d'où apparaît de l'obscurité, le personnage par qui le drame arrive, l'instigateur de l'anéantissement des deux autres protagonistes de cette tragédie.  Quelques rares meubles stylisés complètent admirablement le décor.

Fugace enthousiasme, bonheur éphémère

Passées les premières répliques on comprend très vite que les interprètes ne sont pas au diapason du texte de Strinberg; texte au demeurant admirable, d'une cruauté et d'une noirceur implacables, d'une violence,  par la force unique des mots qui tuent au sens propre du terme, assassine.

Qui du metteur en scène ou des interprètes en portent la triste responsabilité ? Je ne puis fournir la réponse.

Mais voir Adolf, ridicule et risible dans le rôle de double victime du drame, celle d'une femme inconstante et narcissique et celle de l 'ex-époux bafoué, ne passe pas.
Voir Tekla faire son entrée sur scène, vêtue comme pour un bal paré, alors qu'elle descend de bateau, s'exprimer avec l'accent anglais et une raideur de vieille fille, être totalement dépourvue de cette "rouerie" féminine si violemment dépeinte par l'auteur, devient pathétique .

Seul Gustaf tient honnêtement sa partition, mais quand les partitions se jouent à trois,on court à l'échec...
C'est le cas, les applaudissements sont à peine polis.On le regrette sincèrement pour Christian Schiarettii dont il faut cependant saluer la constance dans sa volonté de donner à voir ou à redécouvrir les grands textes.