jeudi 5 janvier 2012

L'Ecole des Femmes de Molière à la Comédie Française mise en scène de Jacques Lassalle

Parfaite illustration du savoir faire de la Comédie Française.

Excellente représentation de cette Ecole des Femmes.

Rien de surprenant quand on lit avec quelle profondeur, quelle intelligence Jacques Lassalle présente la pièce dans le programme, mieux encore, au cours de ses entretiens à la radio.

Le texte déjà considéré comme un brûlot par ses détracteurs à la création, conserve une force incroyable au regard de l'attitude des intégristes d'aujourd'hui face au statut de la femme dans leur société.

Mais tout le génie de Molière ne se limite pas à cette dénonciation formidablement efficace.

Jacques Lassalle, par un travail remarquable, une analyse fouillée à l'extrême souligne toutes les nuances, toutes les facettes, tous les tourments des principaux protagonistes.

Ainsi le personnage d'Arnolphe, considéré et interprété par Molière sous un jour exclusivement comique, atteint ici une dimension véritablement tragique quand il prend conscience de sa passion pour Agnès.
Thierry Hancisse joue sa partition sans omettre aucun des registres du rôle: il se montre tour à tour ridicule, inquiétant, calculateur, terrifiant d'autorité et pathétique.

Julie-Marie Parmentier qui nous avait déjà bouleversés en Camille dans "On ne Badine Pas avec l'Amour" d'Alfred de Musset, la saison dernière, est une sublime Agnès.
Beauté délicate et fine, dans les merveilleux costumes de Renato Bianchi, elle joue avec d'infinies nuances dans ses expressions, toute en subtilité dans ses intonations, et parvient jusqu'à métamorphoser sa silhouette gracieuse quand son corps se raidit face à son geôlier.
C'est inouï, quelle fabuleuse jeune première.

Il me faut encore citer absolument Yves Gasc qui campe tour à tour un notaire moliéresque de référence, avec une force comique jamais égalée, puis un tendre père (deux ex-machina) revenu des Amériques avec un ineffable accent espagnol.

Je ne les cite pas tous, mais l'ensemble de la distribution est à l'unisson.

Un dernier mot pour évoquer un beau décor de Géraldine Allier avec cette maison isolée sur son île pour souligner l'enfermement d'Agnès, ainsi que les lumière de Franck Thévenon et le son de Daniel Girard tellement bien réglés.

Enfin:
Une pièce magnifique.
Un travail passionnant.

mercredi 4 janvier 2012

Diplomatie de Cyril Gely Théâtre de la Madeleine

C'est grâce à une amicale intervention que je suis parvenue à voir, in extremis, "Diplomatie", immense succès public de la saison dernière, repris à la rentrée.

Le Théâtre de la Madeleine affiche souvent une programmation exigeante de très grande qualité, comme "Extinction" ou  "Fin de Partie"pour lesquelles j'ai fait part de mon admiration dans mes précédentes  chroniques.

La pièce de Cyril Gely, si elle me touche moins autant par son écriture que par la manière d' aborder le sujet, n'en demeure pas moins un spectacle abouti grâce au talent conjugué de deux magnifiques interprètes que sont André Dussollier et Niels Arestrup, la mise en scène efficace de Stephan Meldegg et au décor très réussi de Stéphanie Jarre.

On comprend qu'il ait séduit un large public que "l'aventure" théâtrale effarouche.  ,

mardi 3 janvier 2012

H H de Jean-Claude Grumberg au Théâtre du Rond-Point

Oh rage Oh désespoir!

Grumberg, c'est cuit.
Je mesure la portée de ma formule.

L'auteur des pièces inoubliables comme "l'Atelier", "Zone Libre", "L'Enfant Do", "Rêver Peut-être", ou "Une Leçon de Savoir Vivre", devrait ranger ses crayons au plus vite.

Le virtuose de l'auto-dérision, du comique le plus absurde, du désespoir le plus débridé, nous a trop déçus avec son dernier opus pour taire plus longtemps des faiblesses qui se dessinaient dans ses précédentes oeuvres "Pleurnichard" et " Vers Toi Terre Promise" et éclatent dans cette dernière pièce.

Il en eu la maîtrise complète, assurant lui-même la mise en scène et la distribution.

Jean-Claude Grumberg nous avait habitués à autre chose qu'à l'exploitation d'un "fond de commerce" ou à l'auto-célébration.
 
Dans H H, l'idée d'utiliser à tout prix, par soucis d'économie ces deux initiales coulées dans le bronze, pour orner le fronton d'une école prochainement inaugurée par le ministre en personne est au départ amusante.

La séance de délibération du conseil municipal de cette petite ville bavaroise auquel nous assistons est déjà un fiasco.

Des échanges au cours desquels l'auteur prétend dévoiler les antagonismes et les rivalités au sein de cette société "miniature" sous un jour humoristique,tournent à la caricature si grossière et convenue que l'on soupire très vite.

Le pire est à venir:
L'interminable lecture des oeuvres des deux candidats en compétition.

S'affrontent les poèmes d'Heinrich Heine, gloire nationale, fervent démocrate et la correspondance d'Heinrich Himmler, dignitaire nazi, commandant de la SS et de la Gestapo, seule personnalité locale à proposer.

Là encore l'idée aurait ou donner lieu à certains délire "Grumberien" des plus "réjouissants".

Foin de folie.
Un ennui accablant à l'écoute de ces mauvais acteurs, débitant leur texte à tour de rôle, comme en primaire,
les bons élèves forçant le ton, les médiocres le récitant d'une voix monocorde.

Et je parlerai de massacre quand on arrive à la lettre dans laquelle Himmler, étonné du petit nombre de cancéreux chez les déportés en proportion des autres pathologies sévissant dans les camps de concentration, exige du médecin chef de la SS des explications.
C'est intolérable.
On l'entend.
On ne frémit pas.
Et on s'interroge avec angoisse.

Savoir s'arrêter est impossible pour certains.
Dans le cas de Jean-Claude Grumberg c'est impardonnable.
Fervente admiratrice depuis des décennies, cela m'oblige à reconnaître, en enrageant, la disparition de son talent.

El Tiempo todo entero de Romina Paula Rond-Point Festval d'Automne

Quel talent ces argentins!

Tout comme Armelle Héliot j'ai été subjuguée par la Pièce de cette jeune argentine, auteur et metteur en scène, tirée de "La Ménagerie de Verre" de Tenessee Williams.

Je ne m'étendrai pas sur le sujet soulignant que l'atmosphère de "thermos" évoqué par Jean Cocteau" parlant de ses "Enfants Terribles" est ici rendue avec une exceptionnelle force aussi oppressante qu'émouvante.

Trop rare, cette saison, les occasions de s'enthousiasmer pour ne pas exprimer son admiration sans réserve pour ce spectacle admirable en tout point.

Mon humeur souvent chagrine n'a trouvé ici aucun motif de récriminer.

Le décor, dépouillé et intelligent, composé seulement de légères structures métalliques évoquant une grande cage, et de quelques éléments d'une "pièce à vivre";
le texte dans lequel chaque réplique sonne avec une justesse et une exactitude d'auteur accompli;
les comédiens à l'engagement si total, avec un jeu dont la subtilité, l'humanité, la densité et la fragilité nous éblouissent  également;
font de ce spectacle l'un des meilleurs et le plus abouti peut-être de cette rentrée.

C'est absolument remarquable;

Bravo au Festival d'automne qui nous a permis de découvrir en 2009 Claudio Tolcachir et Timbre 4, Romina Paula et sa Compagnie El Silencio nous révèlent encore de nouveaux et jeunes talents exceptionnels

Golgota picnic de Rodrigo Garcia Rond-Point Festival d'Automne

Pas de quoi fouetter un chat

Maints détours et de sévères contrôles de sécurité nous autorisent à pénétrer enfin dans la salle où se joue cette pièce qui a défrayé la chronique à la suite des manifestations violentes qu'elle a suscitées chez certains "puristes" catholiques avant même d'avoir été jouée.

Ces réactions sont aussi ridicules que navrantes.

- Ridicules parce que totalement infondées
- Navrantes, car elles illustrent ici, comme ailleurs, ce climat d'intolérance, voire d'obscurantisme renaissant,    inacceptables.

Le questionnement n'est-il pas le fondement de la recherche?

Rodrigo Garcia ne fait ici qu'interroger les évangiles, ou fustiger notre société.

Il le fait d'abord avec un humour souvent irrésistible.

En particulier dans ses commentaires sur la peinture religieuse où dans la "Mise au Tombeau" du Giotto seuls les anges dans le ciel seraient sincèrement affligés, tous ceux du bas n'étant que de vulgaires pleureurs grassement rémunérés pour leur prestation; ou comme dans cette grandiose "Crucifixion" de Rubens dans laquelle le petit chien à l'avant de la foule est aussi le seul à n'avoir pas trahi Jésus, il est en l'occurence le caniche du peintre.

Roger Garcia se sert aussi, souvent avec intelligence, de la vidéo: son saut de l'ange sans parachute est d'une force étonnante.

Il utilise également des images délibérément repoussantes comme sa confection d'un sandwich géant avec force superposition de poignées d'asticots se tortillant gaiement entre de petits pains, surmontés d'une feuille de salade et couronnés du fanIon Tour de Babel; tout comme sa séance d'aspersion à la peinture qui nous rappelle forcément les happenings d'Yves Klein.

Mais ce qui m'a beaucoup déçue c'est un texte bien trop souvent bavard, à la limite de la diarrhée verbale.

Et puis ce revirement musical:
Plus d'une heure de concert.
L'interprétation des "Sept Dernières Paroles du Christ" d'Haydn par Marino Formenti, qui se met à son piano en costume d'Adam.

Le retour à la spiritualité, à la pureté des origines, sont bien les conclusions de l'Auteur.

Et les intégristes devraient mieux s'informer avant de s'indigner bien à tort.

samedi 17 décembre 2011

Dommage qu’elle soit une putain de John Ford mise en scène Declan Donnellan au Théâtre des Gémeaux à Sceaux

Hard.

Personne ne se permettrait de contester l’autorité de Declan Donnellan et Lulu moins encore.
Cette saison c’est avec la pièce de John Ford que nous le retrouvons « Dommage qu’elle soit une putain » chef d’œuvre du théâtre élisabéthain, d’une audace encore inégalée.

Le privilège de l’âge m’a permis d’avoir entendu parlé de la production de Visconti avec Alain Delon et Romy Schneider en 1963.
C’est avec la version de Jérôme Savary que j’ai vu la pièce pour la première fois à Chaillot. C’était une soirée en tout point inoubliable, éblouissante, singulière.

Declan Donnellan a choisi le parti pris de la contemporanéité.
L’inceste dévorant auquel succombe nos maudits Roméo et Juliette voués à la damnation se déroule dans un climat ou seules la brutalité, la violence et la bestialité dominent l’action.
Des détails d’une trivialité souvent insoutenable émaillent le spectacle. Le décor entièrement rouge écarlate est délibérément vulgaire tout comme Annabella (Lydia Wilson) s’apparente davantage à une Lolita qu’à une jeune aristocrate. La Nourrice pourrait être entremetteuse, les hommes tous machos et la maîtresse trahie une furie déchaînée.

C’est sans appel, sans équivoque oppressant, anéantissant.

Voilà pourquoi je ne peux m’empêcher d’évoquer Savary qui avait su distiller tendresse, ambigüité et insondable mystère dans sa mise en scène troublante. De l’eau se déversait doucement sur le plateau tout au long de la représentation, les acteurs dans un décor très simple étaient en costume simples aussi mais d’époque, et la pièce baignait de bout en bout dans une atmosphère délétère qui faisait ressortir avec tellement plus de subtilités toute la splendeur du texte et l’audace inouïe du sujet.

Comparé à son précédent Macbeth et à son Boris Goudounov, c’est une réelle déception en dépit d’un travail qui demeure intéressant.

Hedda Gabler d’Henrik Ibsen mise en scène Ivo Van Hove Toneelgroep Amsterdam Maison des Arts de Créteil


Noir c’est noir.

Ibsen n’a pas la réputation d’un comique cela on le sait. Mais dans la version que nous donne le grand metteur en scène Ivo Van Hove, dont la réputation est largement justifiée, rarement l’implacable destinée de ses personnages n’aura été rendue avec autant de force tragique.

Hedda femme adulée par de très nombreux soupirants, a choisi d’épouser, par souci de confort matériel, le médiocre Tesman avec lequel l’ennui s’est installé dès leur lune de miel. Elle lui a sacrifié une passion partagée avec un jeune auteur marginal et talentueux qui de désespoir partira au loin. Hedda est aussi prisonnière d’un troisième homme amoureux éconduit qui se vengera d’elle en le tenant sous sa dépendance pour de basses questions financières.

La femme insatisfaite et velléitaire dominant au gré de ses caprices les hommes qui l’entourent sera elle aussi brisée devant l’ampleur des ravages qu’elle aura provoqués, culminant avec la mort du poète et la destruction physique de son œuvre. Elle se suicidera, ultime inconvenance dans cette société puritaine afin d’échapper à la soumission imposée par le juge- créancier et amant méprisé.

La transposition très contemporaine de la pièce, dans un décor de loft tendance, des acteurs d’une justesse confondante, d’une présence immédiatement palpable et convaincante, donnent un relief et une rare acuité aux personnages d’Ibsen.
La mise en scène du néerlandais Ivo Van Hove est limpide sans aucun effet superflu.
Travail remarquable, c’est du très grand théâtre. On en oubli le son guttural du hollandais.

Guettez son retour la saison prochaine. Il est régulièrement invité en France   

Bullet Park (Festival d’automne) d’après John Cheever par le collectif « Les Possédés » Théâtre de la Bastille


Une troupe à suivre.

Durant les années 60 dans le cadre aseptisé et anesthésié d’une résidence pour classe moyenne, l’Amérique nous découvre la face cachée de la société de consommation et son vide abyssal.

Ne craignez rien, c’est souvent drôle voire hilarant et toujours formidablement bien joué par l’excellente troupe des Possédés jeunes et beaux, tous issus du cours Florent, bourrés de talent et dirigés par Rodolphe Dana.
Le décor dans lequel ils évoluent est tout aussi réussi, réunissant sur un gazon synthétique tous les derniers modèles d’électroménager, symboles de  dépendance,  comme la « télé » ou le « frigo ».

Les personnages délibérément stéréotypés révèleront tous leurs névroses, leur haine, leur manque d’amour, leur impuissance, leur incommunicabilité. Et cela donne lieu à quelques scènes absolument désopilantes de délire, de boulimie, d’hyperactivité sportive, de leçon d’italien ou de visite de pavillon à vendre, toutes parfaitement réussies.

Seul bémol de la soirée : les monologues ou tirades des personnages.
C’est là que ressort la réelle faiblesse du texte.
Fini les dialogues percutants, incisifs, ciselés.
C’est verbeux, bavard, primaire, creux.

On ne peut s’empêcher d’établir une comparaison cruelle : cela raisonne de la même façon que la société… tant décriée.

Regrettable.


Le Baladin du Monde Occidental de John M. Synge mise en scène Elizabeth Chailloux Théâtre des Quartiers d’Ivry


La puissance de la poésie pure.

Je n’avais jamais vu ni même lu «  Le Baladin du Monde Occidental ». C’est une révélation.

John M. Synge est « le génie irlandais » salué par Yeats en 1907 le lendemain de la création qui fit scandale et provoqua une émeute à Dublin.

Certes, le thème de la pièce ne saurait être plus transgressif.
 Elle nous compte l’ascension fulgurante d’un pauvre hère qui parvient par la seule force de son récit, le meurtre de son père, à séduire non seulement l’indomptable et superbe fille du cabaretier local, mais à devenir aussi le héros adulé de tous les habitants de ce trou perdu.
L’arrivée intempestive du père, seulement blessé, provoquera sa chute brutale et la vindicte de la foule déchaînée. Il ne devra son salut qu’à sa fuite, accompagné de son père miraculeusement réchappé de ses nouvelles tentatives pour l’achever.

Dans cette société ultra- catholique corsetée par son clergé, cet éloge du parricide prend ici une force toute particulière. Ce qui pourrait paraître le tableau d’une humanité bestiale, sordide, brutale et abrutie, révèle tout au contraire l’immense talent de l’auteur. Ses personnages venus du fond des âges, forts tempéraments et gosiers assoiffés, mais pétris d’humanité, cette Irlande  à la terre ingrate et si dure à vivre, ce peuple d’irréductibles sont évoqués avec une langue fabuleusement inventive, totalement poétique et d’une éblouissante beauté, admirablement rendue par l’adaptation de Françoise Morvan. Et c’est là que réside tout le génie du poète.

En dépit d’une mise en scène trop réaliste d’Elizabeth Chailloux, de comédiens qui manquent de souffle et à la diction trop souvent approximative à l’exception notable de Cassandre Vittu de Kerraoul, Pegeen d’anthologie éblouissante de beauté et d’autorité, un siècle plus tard on reste encore stupéfait, ébahi par une telle audace. La magie du verbe subjugue.
Pendant les deux heures trente du spectacle les adolescents du collège voisin n’ont pas fait grincer une fois leur fauteuil.
La démonstration est imparable.

Tout est normal on cœur scintille de et avec Jacques Gamblin Théâtre du Rond Point


Et me revoilà à contre courant du cœur de louanges.

Une salle Renaud-Barrault bondée. Un public essentiellement composé de bourgeois, de scolaires de la périphérie et de clubs de théâtre du 4eme voir du 5eme âge.

Que sont-ils venus chercher dans ce spectacle ?

Un Gamblin magicien, contorsionniste, poète, absurde, lyrique.

A attendre les rires fuser et les applaudissements crépiter pour saluer l’artiste, à l’évidence la salle paraît comblée dans ses attentes.

Personnellement je me suis laissée doucement bercer par la torpeur, souriant de loin en loin à quelques boutades joliment tournées ou à quelques réflexions gentiment absurdes , sensible à sa célébration de la femme.

Gamblin n’est pas un auteur je m’en doutais et quelques histoires d’ostéopathe ou de « trou du cul » assez réusseis ne suffisent pas à sauver l’ensemble.

Il n’en demeure pas moins un singulier comédien dont la subtilité et le charme infini parviennent à masquer avec un incontestable talent la faiblesse des textes.
Cela opère sur le public présent dans la salle.