vendredi 29 avril 2011

"Le Gorille" d'aprés Kafka au Petit Montparnasse

Pendant la bonne heure de spectacle que dure la représentation du "Gorille" interprété par Brontis Jodorowsky et repris après son succès au Lucernaire à sa création, nous assistons à une performance d'acteur parfaitement aboutie que je salue volontiers.

Brontis Jodorowsky nous fait la démonstration d'un exceptionnel travail d'acteur fruit à la fois de ses années d'expérience passées chez Ariane Mnouchkine qu'il revendique et de la direction de son père Alejandro Jodorowsky qui signe le mise en scène.

Il nous tient en haleine et subjugue le public par ses bruitages, mimiques, postures et gesticulations simiesques, déroutantes et dérangeantes.

Je n'en dirai pas autant du fond qui paraît facile face à la perfection de la forme.

Oui, la démonstration a contrario de la supériorité de l'animal sur l'homme, est un argument qui peut séduire; oui, la survie de tout être vivant ne peut s'obtenir le plus souvent que par le renoncement, pour ne pas dire la trahison, de soi même. Oui la société nous broie impitoyablement s'il on est incapable de comprendre les bénéfices qu'apporte la stricte observation des règles établies.

J'ai lu de nombreuses oeuvres de Kafka dont l'étrangeté et la singularité mêmes sont le révélateur d'une angoisse métaphysique singulière et profonde. Jodorowsky nous propose une version librement adaptée de la nouvelle éponyme: cela explique sans doute que les "lianes" utilisées pour notre macaque sur scène sont vraiment trop grosses.

vendredi 22 avril 2011

"Rue Saint-Denis" Théatre de l'Epée de Bois

Au petit matin la mansarde de Monsieur Moulineaux (Jean-Claude Drouot) s'entrouvre sur la rue Saint-Denis ne laissant passer que sa tête. Celui-ci, qui observe depuis des années la gent masculine et féminine évoluant sur la parcelle de bitume qu'il a sous les yeux, nous livre une série de commentaires hauts en couleurs et désabusés véritablement irrésistibles et d'autant plus cocasses qu'il occupe dans le décor une place sur le sol de la scène surplombée par deux hautes toiles peintes en perspective figurant de chaque côté les hôtels de la rue Saint-Denis. Notre "vigie", vieux grognon, a cependant un faible, pour ne pas dire un secret amour, pour une belle prostituée noire dont il s'inquiète de l'absence auprès de Josette sa "collègue" au grand coeur et au long cours qui attend l'heure de la retraite avec professionnalisme et dévouement. C'est ainsi que l'on apprend que la pauvre Marilyn, tourmentée par un passé trouble, s'oublie "dans la blanche". A son retour sur le trottoir elle évoque le drame qui a marqué sa jeunesse sur l'île au rythme lancinant de ses talons aiguille martelant l'asphalte et que s'amorce cette Oedipe créole voulue par l'auteur.

Jean-Claude Drouot incarne formidablement le vieil atrabilaire, la vieille pute (Cathy Bodet) lui donne la réplique avec une gouaille et une faconde totalement convaincante. Si la langue d'Alain Foix, drue, dense, triviale parfois, vulgaire jamais, anime les personnages campés rue Saint Denis, hélas la tragédie, elle, manque cruellement de souffle et surtout ses protagonistes s'enlisent inéluctablement dans un texte bavard et banal. Seule nous sauve de l'ennui l'apparition intermittente du récitant joué par le génial Modeste Nzapassara qui allie tous les talents d'une somptueuse créolité par ses dons exceptionnels d'acteur, de danseur, de mime et de narrateur.

Voilà donc une soirée tout en contraste.Elle nous aura cependant permis de revoir Jean-Claude Drouot inattendu et excellent et de découvrir Modeste Nzapassara

"Le Problème" de François Bégaudeau au Théâtre Marigny - Salle Popesco jusqu'au 15 mai

Cette pièce de François Bégaudeau nous parle de la séparation d'un couple voulu par l'épouse lassée d'une vie conjugale qu'a progressivement rongée la lassitude, la monotonie, l'indifférence et l'usure des ans, et qui, posément, calmement et lucidement, sans patos ni convulsion justifie devant son mari et ses deux grands enfants sa décision de les quitter pour vivre un nouvel amour, riche de tendresse, de désir, de plaisir plutôt que de poursuivre une existence de faux semblants et de laisser échapper cet authentique et nouveau bonheur.

Dans un beau décor sobre et élégant de Damien Caille-Perret, Emanuelle Devos est lumineuse, naturelle. Elle joue son personnage avec une grande authenticité et elle incarne cette femme à la fois sensible et courageuse, avec délicatesse et vulnérabilité. Ce n'est pas le caprice ou l'égoïsme qui la guide, sa décision a été mûrement réfléchie, et elle a conscience des déchirements qu'elle provoque, mais elle est convaincue qu'elle est dans le vrai et s'en explique avec une totale sincérité.

Lui, le mari (Jacques Bonaffé) renfrogné, sa blessure et son amour propre écorné, reste digne mais sait exprimé le choc qui l'atteint de plein fouet.

Et puis les enfants. Voilà le plus rare et réussi de la pièce de Bégaudeau. Sa connaissance étonnante, profonde de l'adolescence. Pas une réplique, pas un échange, dont chaque mot ne résonne avec une justesse admirable, une pertinence totale. Les deux jeunes comédiens sont eux aussi étonnants. L'aîné (Alexandre Lecroc) possessif et plus agressif envers sa mère, allant jusqu'à la provoquer sur le sujet du sexe; la cadette (Anaïs Demoustier) mignonne, est totalement bouleversante quand après avoir longuement gardé le silence et feint l'indifférence, finit par déclarer à sa mère qu'elle ne souhaite que son bonheur. On est submergé d'émotion. Une petite phrase lachée dans la tempête, et c'est toute la douceur de l'amour familial que sait faire resurgir la très jeune et talentueuse comédienne.

La mère peut enfin partir et quitter sa famille dans une "paix" quasiment retrouvée et le spectateur, la salle, après avoir vécu avec les interprètes une situation si commune de nos jours mais jamais banale ni innocente. 

lundi 4 avril 2011

L'illusion Conjugale - Théâtre de l'Oeuvre

Mue par une curiosité perverse, je me suis rendue au théâtre de l'Oeuvre pour voir la reprise de la pièce d'Eric Assous, récompensée par le Molière du meilleur Auteur en 2010 et grand succès du théâtre privé de la saison dernière.

Le thème éculé de la femme, du mari et de l'amant est habilement traité, quelques répliques au-dessus du niveau primaire boulevardier. Le décor splendide "dans son dépouillement théâtral", les hommes - Jean-Luc Moreau dans son rôle magistralement interprété de macho blessé et José Paul toujours infiniment subtil, dans celui de looser, mais amant comblé- sont parfaits. Elle, efficace, mais sans nuance.

Il n'empêche, au bout de 10 minutes je me suis ennuyé ferme et ai trouvé bien longue l'heure et demie du reste de la représentation.

Ces facilités convenues, téléphonées et tristement conventionnelles, manquent cruellement d'un soupçon de folie, d'une once de dérision, d'un peu de décalage.

On est au ras des pâquerettes, on n'en décolle jamais. c'est tristement plat et dénué d'intérêt.

La Célestine Théatre des Amandiers Nanterre

Pour tout hispanophile de base,assister à une représentation de"La Célestine",oeuvre emblématique de la littérature du début du Siècle d'OR(1499) et de la peinture espagnoles(Picasso de la période "bleue"), ne se manque sous aucun prétexte.La Presse s'en est fait unanimement l'écho: ne pas se rendre à Nanterre eût été une "faute" aux yeux de certains.

Pendant les trois heures trente de spectacle,Christian Schiaretti nous donne à voir, conformément à ses déclarations,une mise en scène complètement imprégnée de l'Ecole du T.N.P. de Chaillot:
Décor réduit à un unique praticable central,sur lequel s'ouvrent à chaque extrémité des portes rouge-sang(semblables à celles d'un tauril), costumes éblouissants pour les acteurs,et lumières seules définissant lieux et climats de l'action.

Le texte de Rojas se reçoit pleinement d'un bout à l'autre de la représentation,c'est un brûlot:sa force de subversion, son érotisme exacerbé,sa dénonciation du clergé,sa peinture de la bassesse, de la cupidité et de la luxure des hommes sont non seulement impensables dans le contexte de l'époque, mais conservent toute leur force de transgression intacte aujourd'hui. C 'est éblouissant , en le découvrant sur scène on comprend qu'il soit considéré comme fondateur du théatre moderne.

Mais... il y a un mais, quitte à déplaire: Jean Vilar reste incomparable, inégalé dans sa conception théatrale, et si les jeunes comédiens de Lyon sont tous beaux et justes, si Hélène Vincent se donne sans réserves à la Célestine, il manque à ce spectacle le "Souffle" T.N.P.On ne peut s'empêcher, là encore, d'évoquer les "Grands Ainés" Maria Casarès pour ne citer qu'elle, et cette jeunesse mûe par le désir et le souci de libération manque aussi cruellement de chair.

Il faut cependant reconnaître à Christian Schiaretti le grand mérite de nous donner à voir ce que l'on ne voit jamais.C'est déjà tout à fait louable: l'ignorance de ces auteurs sur nos scènes est injustifiable.