samedi 17 décembre 2011

Dommage qu’elle soit une putain de John Ford mise en scène Declan Donnellan au Théâtre des Gémeaux à Sceaux

Hard.

Personne ne se permettrait de contester l’autorité de Declan Donnellan et Lulu moins encore.
Cette saison c’est avec la pièce de John Ford que nous le retrouvons « Dommage qu’elle soit une putain » chef d’œuvre du théâtre élisabéthain, d’une audace encore inégalée.

Le privilège de l’âge m’a permis d’avoir entendu parlé de la production de Visconti avec Alain Delon et Romy Schneider en 1963.
C’est avec la version de Jérôme Savary que j’ai vu la pièce pour la première fois à Chaillot. C’était une soirée en tout point inoubliable, éblouissante, singulière.

Declan Donnellan a choisi le parti pris de la contemporanéité.
L’inceste dévorant auquel succombe nos maudits Roméo et Juliette voués à la damnation se déroule dans un climat ou seules la brutalité, la violence et la bestialité dominent l’action.
Des détails d’une trivialité souvent insoutenable émaillent le spectacle. Le décor entièrement rouge écarlate est délibérément vulgaire tout comme Annabella (Lydia Wilson) s’apparente davantage à une Lolita qu’à une jeune aristocrate. La Nourrice pourrait être entremetteuse, les hommes tous machos et la maîtresse trahie une furie déchaînée.

C’est sans appel, sans équivoque oppressant, anéantissant.

Voilà pourquoi je ne peux m’empêcher d’évoquer Savary qui avait su distiller tendresse, ambigüité et insondable mystère dans sa mise en scène troublante. De l’eau se déversait doucement sur le plateau tout au long de la représentation, les acteurs dans un décor très simple étaient en costume simples aussi mais d’époque, et la pièce baignait de bout en bout dans une atmosphère délétère qui faisait ressortir avec tellement plus de subtilités toute la splendeur du texte et l’audace inouïe du sujet.

Comparé à son précédent Macbeth et à son Boris Goudounov, c’est une réelle déception en dépit d’un travail qui demeure intéressant.

Hedda Gabler d’Henrik Ibsen mise en scène Ivo Van Hove Toneelgroep Amsterdam Maison des Arts de Créteil


Noir c’est noir.

Ibsen n’a pas la réputation d’un comique cela on le sait. Mais dans la version que nous donne le grand metteur en scène Ivo Van Hove, dont la réputation est largement justifiée, rarement l’implacable destinée de ses personnages n’aura été rendue avec autant de force tragique.

Hedda femme adulée par de très nombreux soupirants, a choisi d’épouser, par souci de confort matériel, le médiocre Tesman avec lequel l’ennui s’est installé dès leur lune de miel. Elle lui a sacrifié une passion partagée avec un jeune auteur marginal et talentueux qui de désespoir partira au loin. Hedda est aussi prisonnière d’un troisième homme amoureux éconduit qui se vengera d’elle en le tenant sous sa dépendance pour de basses questions financières.

La femme insatisfaite et velléitaire dominant au gré de ses caprices les hommes qui l’entourent sera elle aussi brisée devant l’ampleur des ravages qu’elle aura provoqués, culminant avec la mort du poète et la destruction physique de son œuvre. Elle se suicidera, ultime inconvenance dans cette société puritaine afin d’échapper à la soumission imposée par le juge- créancier et amant méprisé.

La transposition très contemporaine de la pièce, dans un décor de loft tendance, des acteurs d’une justesse confondante, d’une présence immédiatement palpable et convaincante, donnent un relief et une rare acuité aux personnages d’Ibsen.
La mise en scène du néerlandais Ivo Van Hove est limpide sans aucun effet superflu.
Travail remarquable, c’est du très grand théâtre. On en oubli le son guttural du hollandais.

Guettez son retour la saison prochaine. Il est régulièrement invité en France   

Bullet Park (Festival d’automne) d’après John Cheever par le collectif « Les Possédés » Théâtre de la Bastille


Une troupe à suivre.

Durant les années 60 dans le cadre aseptisé et anesthésié d’une résidence pour classe moyenne, l’Amérique nous découvre la face cachée de la société de consommation et son vide abyssal.

Ne craignez rien, c’est souvent drôle voire hilarant et toujours formidablement bien joué par l’excellente troupe des Possédés jeunes et beaux, tous issus du cours Florent, bourrés de talent et dirigés par Rodolphe Dana.
Le décor dans lequel ils évoluent est tout aussi réussi, réunissant sur un gazon synthétique tous les derniers modèles d’électroménager, symboles de  dépendance,  comme la « télé » ou le « frigo ».

Les personnages délibérément stéréotypés révèleront tous leurs névroses, leur haine, leur manque d’amour, leur impuissance, leur incommunicabilité. Et cela donne lieu à quelques scènes absolument désopilantes de délire, de boulimie, d’hyperactivité sportive, de leçon d’italien ou de visite de pavillon à vendre, toutes parfaitement réussies.

Seul bémol de la soirée : les monologues ou tirades des personnages.
C’est là que ressort la réelle faiblesse du texte.
Fini les dialogues percutants, incisifs, ciselés.
C’est verbeux, bavard, primaire, creux.

On ne peut s’empêcher d’établir une comparaison cruelle : cela raisonne de la même façon que la société… tant décriée.

Regrettable.


Le Baladin du Monde Occidental de John M. Synge mise en scène Elizabeth Chailloux Théâtre des Quartiers d’Ivry


La puissance de la poésie pure.

Je n’avais jamais vu ni même lu «  Le Baladin du Monde Occidental ». C’est une révélation.

John M. Synge est « le génie irlandais » salué par Yeats en 1907 le lendemain de la création qui fit scandale et provoqua une émeute à Dublin.

Certes, le thème de la pièce ne saurait être plus transgressif.
 Elle nous compte l’ascension fulgurante d’un pauvre hère qui parvient par la seule force de son récit, le meurtre de son père, à séduire non seulement l’indomptable et superbe fille du cabaretier local, mais à devenir aussi le héros adulé de tous les habitants de ce trou perdu.
L’arrivée intempestive du père, seulement blessé, provoquera sa chute brutale et la vindicte de la foule déchaînée. Il ne devra son salut qu’à sa fuite, accompagné de son père miraculeusement réchappé de ses nouvelles tentatives pour l’achever.

Dans cette société ultra- catholique corsetée par son clergé, cet éloge du parricide prend ici une force toute particulière. Ce qui pourrait paraître le tableau d’une humanité bestiale, sordide, brutale et abrutie, révèle tout au contraire l’immense talent de l’auteur. Ses personnages venus du fond des âges, forts tempéraments et gosiers assoiffés, mais pétris d’humanité, cette Irlande  à la terre ingrate et si dure à vivre, ce peuple d’irréductibles sont évoqués avec une langue fabuleusement inventive, totalement poétique et d’une éblouissante beauté, admirablement rendue par l’adaptation de Françoise Morvan. Et c’est là que réside tout le génie du poète.

En dépit d’une mise en scène trop réaliste d’Elizabeth Chailloux, de comédiens qui manquent de souffle et à la diction trop souvent approximative à l’exception notable de Cassandre Vittu de Kerraoul, Pegeen d’anthologie éblouissante de beauté et d’autorité, un siècle plus tard on reste encore stupéfait, ébahi par une telle audace. La magie du verbe subjugue.
Pendant les deux heures trente du spectacle les adolescents du collège voisin n’ont pas fait grincer une fois leur fauteuil.
La démonstration est imparable.

Tout est normal on cœur scintille de et avec Jacques Gamblin Théâtre du Rond Point


Et me revoilà à contre courant du cœur de louanges.

Une salle Renaud-Barrault bondée. Un public essentiellement composé de bourgeois, de scolaires de la périphérie et de clubs de théâtre du 4eme voir du 5eme âge.

Que sont-ils venus chercher dans ce spectacle ?

Un Gamblin magicien, contorsionniste, poète, absurde, lyrique.

A attendre les rires fuser et les applaudissements crépiter pour saluer l’artiste, à l’évidence la salle paraît comblée dans ses attentes.

Personnellement je me suis laissée doucement bercer par la torpeur, souriant de loin en loin à quelques boutades joliment tournées ou à quelques réflexions gentiment absurdes , sensible à sa célébration de la femme.

Gamblin n’est pas un auteur je m’en doutais et quelques histoires d’ostéopathe ou de « trou du cul » assez réusseis ne suffisent pas à sauver l’ensemble.

Il n’en demeure pas moins un singulier comédien dont la subtilité et le charme infini parviennent à masquer avec un incontestable talent la faiblesse des textes.
Cela opère sur le public présent dans la salle.

Une Autre Vie de Brian Friel avec Marie Vincent et Roland Marchisio mise en scène Benoît Lavigne au Théâtre La Bruyère (dernières)

Tchékhovien

Un café sinistre aux murs écaillés, une femme attablée, penchée sur des papiers qu’elle examine fiévreusement.
Lui entre, l’étui de son violon sous le bras.
Ils se sont déjà retrouvés là, la veille.
La conversation reprend. Les confidences laissent vite apparaître la solitude dont chacun souffre, leur difficulté à y faire face.

Cette rencontre serait-elle leur chance ?
Une attirance mutuelle semble le permettre.

Et puis quand la vodka succède au thé et à la soupe aux choux, les masques tombent, les mensonges s’avouent, tous deux ont des vies sans issue, prisonnières de leur destinée.

Pour elle un amour impossible la lie au Domaine dont elle va bientôt être dépossédée.

Lui, abandonné avec ses enfants par une épouse volage se voit contraint de jouer dans la rue afin de payer ses déplacements à Moscou pour voir son fils injustement emprisonné.

L’irlandais Brian Friel est un auteur octogénaire couvert de distinctions à juste titre.
On le surnomme le Tchékhov de la langue anglaise. Sa proximité avec le grand écrivain russe est évidente. Avec un peu mois de sensiblerie et de sentimentalité on y serait tout à fait.

Néanmoins Marie Vincent et Roland Marchisio, deux interprètes dont le talent n’est plus à démontrer, donnent admirablement chair à leurs personnages en perdition.

Une très jolie soirée qui réconforte dans la médiocrité de cette saison.

Bistro de Sylvie Audcoeur et Marie Piton mise en scène Anne Bourgeois au Théâtre de l’Œuvre

Charmant.

La deuxième pièce à l’affiche cette saison à l’Œuvre vous réservera une soirée de délassement théâtral des plus plaisantes.

Ce spectacle musical est si bien construit et surtout si parfaitement chanté et joué par ses quatre interprètes (Sylvie Audcoeur, Marie Piton, Alexis Desseaux et Michelle Simonnet) accompagnés au piano par le compositeur (Patrice Peyriéras) que l’on se laisse porter avec délice par cette charmante histoire : la fermeture d’un bistrot.

Cette soirée réunit la petite fille du fondateur (un émigré russe) sorte de Mère Courage, fausse célibataire endurcie, et jeune maman. Aussi présent, le client fidèle, ami dévoué et amoureux transi, incapable de déclarer sa flamme, la ravissante amie d’enfance séductrice impénitente et infatigable collectionneuse de liaisons sans lendemain et enfin, l’ancienne serveuse revenue exprès de sa province, pour être avec ses petites, et par qui le scandale arrivera.

La nostalgie des personnages, tout comme leurs moments d’affrontement ou de confidence, les maladresses de l’amoureux, les révélations de la vieille dame assagie sont très joliment tournés.
Les moments musicaux s’intercalent aussi parfaitement dans l’action et le rythme toujours juste, efficace, intelligent.

Alors pourquoi bouder son plaisir ?

Laissez-vous entraîner aussi par cette bluette un peu sentimental et n’hésitez pas à franchir le seuil de ce bistrot fort attachant.

mercredi 16 novembre 2011

Chronique d'une Haine Ordinaire de Pierre Desproges La Pépinière Théâtre

Pendant toute la durée de la représentation, je me suis demandé si Pierre Desproges n'était pas plus convaincant, plus percutant, plus acide que Christine Murillo et Dominique Valadié.

On ne peut pas reproché aux deux comédiennes de n'être pas à la hauteur.

Tout au contraire, elles sont surdimensionnées.
J'ai trop souvent critiqué les excès caricaturaux de certains comédiens, pour ne pas, ici, reconnaître le talent avec lequel chacune déploie tous les registres d'interprétation dans leur expressivité aussi bien que dans "l'art de dire".

La direction d'acteur que signe Michel Didym est le fruit d'un travail très recherché qui touche jusqu'à la moindre intonation, au moindre froncement de sourcil.

C'est rodé, ultra professionnel, très visuel.

La conséquence en est surprenante:
Les effets si nombreux donnent parfois l'impression d'un remplissage, d'une surcharge inutile.
Les histoires gagneraient à être resserrées.

C'est du très bon cabaret, qui s'apparente aux chansonniers, et comme eux cela "colle" de si près à l'actualité qu'aujourd'hui cela nous semble un peu dépassé.

Dans la même veine Gaspard Proust s'impose et domine aujourd'hui incontestablement le genre

dimanche 13 novembre 2011

La Promesse de l'Aube d'après Romain Gary Théâtre de la Commune d'Aubervilliers jusqu'au 27 novembre

Il manque à Bruno Abraham Kremer tout le charme slave, le panache, l'élégance, la sensibilité tourmentée, l'humour, le sens de la dérision, les excès, sans lesquels Romain Gary ne serait pas Romain Gary.

La musique, le son, le décor (rideau de fond de scène et rangées de baffles sur lesquels se hisse le comédien) n'apportent rien non plus au spectacle.
 
Bruno Abraham Kremer nous dit son texte d'un ton bourru, avec une conviction autoritaire et grincheuse sans rapport avec les histoires tour à tour bouleversantes, incongrues, et héroïques quand il interprète le rôle de l'auteur, et son accent russe ne suffit pas à faire revivre Sa Mère personnage dominant.

En dépit du manque évident de tendresse sans même parler de l'absence criante de cet amour fou qui unit Mère et Fils, le texte est là et bien là.

Preuve irréfutable de sa singulière qualité et de sa profonde humanité, cette "Promesse de l'Aube" résiste à bien des épreuves, comme Romain Gary que l'on est bien heureux de retrouver en scène et que l'on écoute avec une émotion toujours intacte.

Je Disparais de Arne Lygre à La Colline jusqu'au 9 décembre

C'est un texte étrange, surprenant, déstabilisant.

On ne sait trop si cette fuite soudaine qui transforme des êtres "normaux" en parias et en exclus dans l'extrême précarité est un récit réel ou fantasmé.

Jeux de rôles, quête de l'identité, quête aussi de la compassion et de la fraternité caractérisent cette histoire à cinq personnages:

Moi (formidable Annie Mercier aux intonations qui rappellent Simone Signoret) attend Son Amie (Luce Mouchel intéressante dans sa volonté d'auto persuasion) la Fille de Son Amie, et Son Mari (Alain Liboit touchant dans son infatigable recherche d'amour) qu'elles renoncent à attendre pour partir.

Seule en scène à la fin le Mari.

Il a décidé lui de devenir l'Homme Nouveau qui s'adapte au Monde Nouveau, et à fonder, avec sa Femme Nouvelle, une vie nouvelle qui lui a permi d'oublier la précédente marquée au sceau de l'inconsolable perte de l'Enfant.

Tout l'éllliptisme norvégien caractérise la pièce de ce jeune auteur de 43 ans qui m'a subjuguée.

Dans un décor abstrait et fascinant de beauté et d'efficacité de Stéphane Braunschweig qui signe aussi une mise en scène parfaite au service d'un texte somme toute très humain, on suit les tribulations de tous ces personnages avec une attention qui ne faiblit à aucun moment.

Théâtre moins fort peut-être que celui de son jeune ainé Jon Fosse pour lequel j'ai une immense admiration, il s'inscrit parfaitement dans la grande tradition nordique à la suite d'Ibsen et de Strindberg qui ont bouleversé les codes en fouillant aussi dans les tréfonds de notre âme et de ses tourments.

Une Histoire d'Ame d'Ingmard Bergman avec Sophie Marceau Théâtre du Rond Point jusqu'au 19 novembre et en tournée ensuite

"Une Histoire d'Ame" ou la descente aux enfers dans la folie et l'enfermement d'une Belle personne.

Cela débute par les caprices d'enfant gâtée d'une ravissante, mais très vite elle révèle ses fractures de femme blessée, blessée par la froideur de son époux et ses infidélités.

Très vite elle se referme sur elle même tout en s'efforçant de faire semblant et de donner le change.
Très vite aussi, elle bascule tout à fait, et c'est l'asile psychiatrique.

La chute ne s'arrête pas pour autant, l'enfermement révèle aussi des degrés de déchéance et d'abandon, et là encore, malgré les nombreuses manifestations de sa "déraison" elle poursuit son monologue par un récit toujours plus tragique sur sa Vie d'aliénée et témoigne cependant d'une lucidité surprenante: ultime effort sans doute pour ne pas sombrer tout à fait.

La grande beauté de Sophie Marceau éblouit. Elle rayonne sur le plateau, elle éclate de santé:
Et c'est ce qui me gène.

Toute la fragilité, la vulnérabilité de ce personnage troublant, trop saine, Sophie Marceau ne convainc pas en dépit de sa sensibilité et de sa retenue.

Le texte de Bergman ne m'a pas convaincue non plus:
Il manque de ressort dramatique et au théâtre cela ne pardonne pas.

dimanche 16 octobre 2011

L'augmentation de Georges Perec au théâtre du Rond-Point jusqu'au 6 novembre

Par respect pour la mémoire de Georges Perec je ne m'étendrai pas sur "L'Augmentation".

On est à l'opposé de toute la poésie et du charme irrésistible qui émanaient de l'inoubliable "Je Me Souviens" avec Sami Frey.

Ici l'hyperréalisme triomphe. Les interminables gesticulations et déclamations des comédiens, outrancières dans tous les registres sans exception, écrasent et réduisent à néant les subtilités du texte et le talent de Perec.
La metteur en scène, Anne-Laure Liégeois, accomplit ici le travail d'un éléphant dans un magasin de porcelaine.

Il n'en ressort qu'un spectacle terriblement daté, ennuyeux au-delà du supportable et qui semble interminable en dépit de sa courte durée.

Loin du registre affiché du "Rire en résistance" c'est d'un comique troupier archaïque dont il s'agit.

Dire que j'avais tant de regret de n'avoir pu obtenir des places pour "Debrayage", je l'ai échappé belle !

vendredi 14 octobre 2011

Gaspard Proust au Théâtre du Rond-Point

Vous connaissez tous Gaspard Proust.

On ne fait pas ici dans la confidentialité.
Le spectacle se joue à guichet fermé dans la grande salle Renaud-Barrault.
Les échos se multiplient de toutes parts sur les ondes et dans la presse.

Ma curiosité n'était pas moins dénuée de mes réticences habituelles pour le genre "one man show" d'humoriste trop souvent gras et lourd.

Mais divine surprise notre élégant jeune homme fait dans le politiquement incorrect de rigueur, le transgressif généralisé, la provocation cultivée, l'humour noir intense.

Révélateur impitoyable de toute notre médiocrité complaisante et de nos désirs inavouables.

Une heure quinze de rire, jaune, à sen étrangler.

C'est cinglant, toujours juste et plus encore dérangeant.
On en redemande.
Honte à Lulu de ne pas vous en avoir parlé plus tôt.

L'Homme Inutile de Iouri Olecha mise en scène de Bernard Sobel

Vous ne connaissez pas Youri Olecha?

Rassurez-vous, moi non plu, en dépit de mon attirance pour de nombreux auteurs russes: Boulgakov, Babel, Pilniak, Agnéev et Yakov Braun, ses contemporains.

Voilà tout le talent et le mérite de Daniel Sobel: avoir ressuscité cet écrivain prophétique né à la charnière du XXème siècle, en 1899, et mort en 1960 dans le plus grand dénuement et dans l'oubli parce qu'interdit après avoir connu la notoriété avec ses premiers écrits.

"L'Homme Inutile". Pièce visionnaire qui annonce en 1928 notre époque, avec une lucidité prémonitoire sidérante. "L'Homme Inutile" ou comment sauver l'humanité face à l'implacable règne du matérialisme.

Rien de didactique ici, moins encore de démonstration pédagogique; mais une parabole foutraque mettant en scène deux frères que tout oppose.
L'un respecté et soutenu par les autorités pour son engagement sans réserve dans la recherche du progrès social et la libération de l'homme, inventeur d'une découverte fondamentale: le saucisson à 25 Kopecks pour tous, moyen infaillible pour atteindre le but suprême: l'Avenir Radieux.
L'autre, fol, roi déchu, clochard superbe et ivrogne, est l'incarnation de l'Homme Inutile.

Entre eux deux autre personnages, enjeu du drame qui se noue: une délicieuse jeune fille, objet de toutes les rivalités, et un jeune poète maudit, protégé du savant mais également fou amoureux de la jeune personne.

Tout cela finira mal, tragiquement, par la mort du poète, l'avènement triomphal du saucisson face à l'écrasement du complot des sentiments fomenté par l'autre frère, qui aura tenté par tous les moyens de les faire se soulever dans un ultime soubresaut contre-révolutionnaire.

Certes le spectacle dure deux heures quarante... le texte n'est pas exempt de quelques longueurs et digressions parfois bavardes, mais son essence même, l'idée de l'auteur: la transposition du sujet sur le mode burlesque, en font un spectacle baroque et passionnant. La beauté des décors de Lucio Fanti dans un style entre expressionnisme et modernisme épuré, le jeu étonnant de John Arnold grandiose (Ivan le vagabond) face à Pascal Bongard (Andreï, l'homme nouveau) font aussi oublier quelques erreurs de distribution.

Le spectacle a pris fin le 8 octobre, je vous en ai parlé pour vous donner envie de lire Iouri Olecha
Voilà vraiment un auteur à REdécouvrir:
"Le Livre des Adieux" édition du Rocher 2006
"L'Envie" chez Point Seuil
"Les Trois Gros" à L'Age d'Homme

dimanche 2 octobre 2011

Hollywood de Ron Hutchinson au Théâtre Antoine Mise en Scène Daniel Colas avec Daniel Russo, Thierry Frémont et Samuel Le Bihan

Hollywood - ou comment David O' Selznick s'est cloîtré avec son scénariste (Ben Hecht) et son réalisateur (Victor Flemming) pour réécrire "Autant en Emporte le Vent" après avoir stoppé un début de tournage et congédié toute l'équipe engagée pour le film George Cukor inclus.

Le sujet est alléchant: découvrir les secrets d'une production mythique du cinéma mondial, les exigences "dictatoriales" d'un producteur, les risques financiers colossaux du projet, le tournage d'un récit à la gloire du sud esclavagiste en plein conflit mondial (1942). Autant de thèmes qui pouvaient laisser augurer une soirée prenante.

J'irai droit au but, c'est raté, complètement raté.

Passées les premières minutes pendant lesquelles on ne peut s'empêcher de rire durant la scène burlesque ou Selznik après avoir convoqué son nouveau scénariste à six heures du matin, celui-ci arrivé à jeun, se voit privé de petit déjeuner (alors qu'il salive devant un plateau somptueusement servi) au prétexte que "les sucs digestifs" nuisent à la créativité. Ou lorsque le nouveau réalisateur pressenti est obligé de reconnaître à contre-coeur qu'il a giflé la pauvre Judy Garland pendant le tournage du "Magicien d'Oz". 

Dès lors on s'enfonce dans une vulgaire pantalonade qui s'alourdit inexorablement jusqu'à la fin de la représentation.

Nos trois personnages se réduisent à des figures de bouffons se livrant à une série de pitreries et de contorsions aussi éculées que grossièrement jouées, caricaturant sans humour et avec outrance leur propre épuisement physique et moral tout comme les personnages du livre qu'ils sont obligés de jouer.

Particulièrement affligeant le numéro du réalisateur (Le Bihan) transformé en guenon à la suite du régime alimentaire - bananes, cacahuètes - imposé par Selznik, ou les mimiques, grimaces et gesticulations de ce dernier (Daniel Russo) interprétant Scarlett dans la scène finale.

Ni le beau décor, ni les maladroites tentatives de mise en perspective dans le contexte mondial de la contradiction entre cette histoire raciste et le statut de juif émigré du producteur ne sauvent la pièce (ou son adaptation française) d'une accablante médiocrité.

Il existe un public pour ce théâtre.
Moi j'en sors totalement déprimé ne sachant au juste si c'est des spectateurs ou des comédiens dont on se moque aussi délibérément.

Les Bonnes de jean Genet théâtre de l'Atelier avec Prune Beuchat Christine Brücher Lolita Chammah

Genet a écrit sa pièce "Les Bonnes" d'après un fait divers.

Mais ici le dénouement est autre que celui de cet assassinat sordide.
Ce n'est pas la patronne qu'on trucide.

Par un retournement aussi étonnant que tragique, c'est le suicide de l'une des soeurs, meurtrière en puissance, qui clôt cette histoire à la fois dérangeante et sulfureuse.

Texte puissant et transgressif  "Les Bonnes" sont la pièce de toutes les équivoques et de l'ambiguïté.

Drame de la misère certes, mais pas de la "lutte des classes". C'est Genet lui-même qui le dit.

Par le jeu du travestissement, au sens propre, de basculements et d'inversions des rôles, les rapports Amour-Haine, Dominant-Dominé, sont superbement rendus par l'écriture incisive, crue, violente de ce grand texte de Genet dont la force dévastatrice requiert de grandes interprètes.
 Or ni Prune Beuchat, ni Lolita Chammah, en dépit de leur engagement, n'ont l'envergure de ces rôles. Seule Christine Brücher, en Madame adorablement détestable, a la présence et tout l'éclat de son rôle sur scène.

On le regrette pour Sylvie Busnel qui signe une bonne mise en scène et Jérôme Kaplan dont le superbe décor vénéneux à souhait et les costumes aussi intelligents que spectaculaires servent admirablement la pièce.